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Constance eut l’impression de se retrouver toute nue dans la salle, entourée d’hommes qui pouvaient voir tous ses défauts et ses imperfections.
Elle n’en avait parlé à personne. Pas même à sa mère, à Philadelphie. C’était un secret qu’elle était déterminée à emporter dans la tombe, quitte à affronter le jugement plus tard. Mais apparemment l’heure du jugement était arrivée.
— Elle a avorté, Steeeve, continua Sqweegel. Mais tu le savais déjà, n’est-ce pas ? Même que tu lui as proposé un chèque… C’était le… Voilà… le numéro 1183, pour payer la petite manipulation. Mais elle l’a déchiré et jeté, et n’importe qui a pu le trouver. Enfin, quelqu’un qui avait du Scotch et beaucoup de patience.
Constance se rappela son geste. Sur le moment, l’indifférence froide de Dark l’avait ulcérée. Mais elle s’en était remise, et elle avait tourné la page.
Elle ne pouvait pas voir la tête de Dark en cet instant, mais elle se demanda comment il réagissait.
— Ah, ne regrette rien, continua Sqweegel. Constance voulait garder le secret. Elle refusait que tu aies des ennuis. Tu sais, un petit être qui court à ta recherche et qui vient quémander ton affection ? Ce serait très embêtant pour toi, n’est-ce pas, Steve ?
Constance entendit la voix de Dark résonner dans l’antre de Sqweegel. Avec une telle violence qu’elle en était distordue.
— Ta gueule !
— Que je meure si je mens, dit Sqweegel. Je me couperai la langue à la racine, et devant la caméra. J’accepterai le châtiment pour mon péché. Je ne pourrai plus jamais mentir. Mais je ne mens pas, n’est-ce pas, Dark ?
C’était un dément qui racontait des mensonges. Rien de plus. Sibby essaya de faire la sourde oreille et de se concentrer sur le bébé. Tout ce qui comptait, c’était que leur petite fille sorte indemne de cet enfer. Le reste n’avait aucune importance, ni pour elle ni pour Steve.
Mais ses paroles s’étaient tout de même insinuées dans son esprit.
« … Tu as fourré ta queue dans Constance Brielle… »
« Elle a avorté, Steeeve… »
Et elle pensa au soir où elle avait annoncé la nouvelle de sa grossesse à Steve, en marchant sur des œufs. Quand elle avait vu son regard étinceler de bonheur, elle avait compris que tout irait bien désormais.
« C’est fantastique », avait-il répondu.
— Sibby, j’ai essayé de t’en parler, disait-il en cet instant.
Puis la voix de Constance :
— C’était ma faute, Sibby. Il n’y a eu qu’une seule nuit. Je sais que c’est nul. J’ai avorté parce que je ne voulais pas bousiller votre vie. J’assume entièrement ma responsabilité.
Et de nouveau Steve :
— Moi aussi. J’ai essayé de te le dire.
— Fermez-la ! Fermez-la, tous ! Contentez-vous de sauver mon bébé de ce cauchemar, hurla Sibby.
— Tu vois combien on peut se haïr quand on oublie les leçons du ciel ? fit Sqweegel. Nous avons tous nos petits secrets.
Moi, je tue des gens. Toi aussi, tu en tues. Au moins, quand je tue, je n’en fais pas mystère.
Il ôta la caméra du trépied. Son visage remplit l’écran.
— Tous ceux que j’ai envoyés en enfer le méritaient, dit-il. Puisque toi et Constance vous avez supprimé une vie, Sibby et moi nous allons en faire autant. Œil pour œil… et le monde sera aveugle. Mais je dois avouer… que je vais avoir du mal à anéantir celle-là. Je m’y suis beaucoup attaché.
Et, sur ces mots, il coupa la connexion.
Les techniciens de la DAS s’activèrent pour cerner le problème. Ils comprirent rapidement que c’était l’alimentation électrique qui fluctuait, comme si un orage avait fait sauter les coupe-circuits.
Mais, après quelques secondes, le courant revint et une nouvelle image, pixellisée et en noir et blanc, apparut sur tous les moniteurs.
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